Synergies Venezuela Nº 2 (2006) pp. 78 - 88


Déterminisme et indéterminisme en tant qu’attitudes scientifiques dans l’etude du langage
et l’apprentissage des langues étrangères*

Ana Lucía Delmastro

Universidad del Zulia. Maracaibo, Venezuela
aldelmastro@yahoo.com

Résumé

Dans l’étude du langage et dans l’enseignement des langues étrangères (LE), la considération de notions liées à la postmodernité, telles que l’indéterminisme, le hasard créateur et la complexité, aide à expliquer les variations temporelles dans l’évolution des approches et méthodes pour l’enseignement des langues étrangères, lesquels ne correspondent pas toujours à leurs constructs théoriques et à leur logique épistémique. À partir de la caractérisation des perspectives déterministe et indéterministe en tant qu’attitudes scientifiques liées à la description et à la connaissance du monde, et du rationalisme en tant que position épistémologique alterne dans la construction de la connaissance scientifique, sont analysés ici les effets respectifs dans l’interprétation du langage et son apprentissage, ainsi que dans les approches d’enseignement qui en découlent. Il a été conclu ce qui suit: (1) l’attitude indéterministe permet d’aborder l’étude du langage en tant que système humain dans toute sa complexité, transcendant les limitations du réductionnisme et les positions empiristes propres au déterminisme scientifique; (2) le rationalisme permet de se détacher de la rigidité de l’induction et de la vérification sans tomber dans l’interprétation phénoménologique; (3) assumer un relativisme ou éclectisme informé, conçu en tant que pluralité de critères et syncrétisme théorique-méthodologique fondé sur la connaissance et les expériences de l’enseignant-chercheur, permet l’analyse, le choix raisonné et la prise des décisions informées, apportant en même temps la flexibilité nécessaire pour s’adapter à la pluralité de contextes et de situations d’enseignement/apprentissage de la langue, maternelle ou étrangère.

Mots clés:

Déterminisme-indéterminisme, complexité, enseignement de langues, FLE, EFL.

Traduit de l’espagnol par Yolanda Quintero de Rincón.

Determinismo e indeterminismo como actitudes científicas en el estudio del lenguaje y el aprendizaje
de lenguas extranjeras

Resumen

En el ámbito del estudio del lenguaje y en la enseñanza de lenguas extranjeras (LE), la consideración de nociones ligadas a la postmodernidad, tales como el indeterminismo, el azar creador y la complejidad, contribuye a explicar las variaciones epocales en la evolución de los enfoques y métodos para la enseñanza de las lenguas extranjeras, los cuales no siempre concuerdan en sus constructos teóricos y su lógica epistémica. Partiendo de la caracterización de las perspectivas determinista e indeterminista como actitudes científicas vinculadas con la descripción y el conocimiento del mundo, y del racionalismo como postura epistemológica alterna en la construcción del conocimiento científico, se analizan los respectivos efectos en la interpretación del lenguaje y su aprendizaje, así como en los enfoques de enseñanza que de ellas se derivan. Se concluye lo siguiente: (1) la actitud indeterminista permite abordar el estudio del lenguaje como sistema humano en toda su complejidad, trascendiendo las limitaciones del reduccionismo y las posturas empiristas propias del determinismo científico; (2) el racionalismo permite desligarse de la rigidez de la inducción y la verificación sin caer en la interpretación fenomenológica; (3) asumir un relativismo o eclecticismo informado, concebido como pluralidad de criterios y sincretismo teórico-metodológico cimentado en el conocimiento y las experiencias del docente-investigador, permite el análisis, la selección razonada y la toma de decisiones informadas, a la vez que aporta la flexibilidad necesaria para adaptarse a la pluralidad de contextos y situaciones de enseñanza-aprendizaje de la lengua, materna o extranjera.

Palabras clave:

Determinismo-indeterminismo, complejidad, enseñanza de lenguas, FLE, ILE.

Deterministic and indeterministic approaches
to the scientific study of language and foreign language learning

Abstract

In the study of language and in foreign language teaching, notions from chaos and complexity theory help t5o understand the evolution of approaches and methods, which not always follow a logical sequence of evolutions and often result in a sequence of simultaneous methodologies that are unrelated in their theoretical constructs and epistemologies. Starting from the characterization of deterministic and indeterministic perspectives as scientific approaches linked to the description and knowledge of the world, and rationalism as an alternative epistemological approach, we analyze the effects on the different approaches to the study of language and language learning, as well as their related teaching methodologies. The conclusions are the following: (1) An indeterministic approach allows to study the language as a human system in all its complexity, transcending the limitations of reductionistic-empiricist-deterministic approaches; (2) The rationalist approach avoids the stiffness of induction and verification, but at the same time steps away from phenomenological interpretations, and, (3) The adoption of an informed relativism and eclecticism, conceived as the plurality of criteria and a theoretical-methodological syncretism based upon knowledge and experience, will provide the flexibility required to adapt to the plurality of contexts, in both native and foreign language teaching-learning situations.

Key words:

Deterministic-indeterministic approaches, chaos and complexity theory, language teaching. FFL, EFL.

N’importe qui peut compter les graines d’une pomme; personne ne peut compter les pommes qui pousseront d’une graine
Anonyme

Introduction

Wagensberg (1985), physique converti à l’indéterminisme scientifique, dans sa discussion sur le hasard et la complexité dans la philosophie et la science de la postmodernité, affirme que lorsque les vieux systèmes ne fonctionnent plus, le hasard dévient créateur et de nouveaux systèmes et organisations surgissent, indépendamment de la participation de la volonté. Par conséquent, on peut affirmer que le hasard créateur a une certaine influence dans l’évolution de tous les systèmes biologiques, sociaux, politiques, économiques, culturels ou éducatifs. Une telle interprétation est transposable aux sciences sociales et aux sciences humaines dans la compréhension de tout système (social, politique ou économique) où l’humain intervient (Delmastro, 2005; Delmastro et al, 2004). En particulier, elle peut être extrapolée aux domaines de la psychologie et de l’éducation pour expliquer l’évolution et la progressive complexification des structures cognitives dans les individus, ainsi que dans l’interprétation de l’éducation et du langage en tant que produits culturels.

Dans ce sens, on peut affirmer que le langage, en tant que produit culturel et manifestation d’un système complexe telle que la pensée humaine, n’échappe pas aux effets du hasard et de la complexité inhérente aux systèmes; de même que les processus d’enseignement/apprentissage du système linguistique, soit de la langue maternelle ou d’une langue étrangère.

Appliqué au domaine de l’enseignement des langues étrangères (LE) ou d’une langue seconde (L2), la notion du hasard créateur peut contribuer à expliquer le développement ou l’évolution des approches et méthodes d’enseignement, lesquelles n’ont pas toujours suivi une “logique” évolutive et ont produit des séquences temporelles ou simultanées de méthodes peu liées, à l’intérieur d’elles-mêmes, dans leurs constructs théoriques et dans leur épistémologie. Si l’on considère que la Linguistique Appliquée à l’enseignement des LE en tant que discipline scientifique est par elle-même un système complexe, ceci serait un reflet du changement ou évolution inflexible produit par une autostructuration spontanée de la discipline lorsque ses principes théoriques cessent d’être applicables et ne donnent plus de résultats satisfaisants, c’est-à-dire, selon les termes de Wagensberg, lorsqu’ils ne “représentent” plus la réalité. Le changement devient alors incontournable et inévitable. De nouvelles théories et conceptions éducatives surgissent qui entraînent de nouvelles méthodologies, ayant des effets précis dans l’interprétation et dans la conduction du processus d’enseignement/apprentissage (Delmastro, 2005).

D’autre part, du point de vue de l’indéterminisme scientifique, l’acceptation de formes alternatives de connaissance, comme le savoir intuitif et le savoir révélé, permet la considération d’autres formes de connaître entraînant la possibilité de discernement. Ces formes spontanées et internes de connaissance ne dépendent de l’information apportée par les sens ni des processus inductifs et déductifs de raisonnement, mais elles contribuent également à la construction des savoirs et de leurs différentes manifestations.

En tenant compte de ce qu’on vient de dire, dans cet article on postule que la considération de notions telles que le hasard, la complexitŽ et la connaissance intuitive, encadrés dans une perspective épistémologique opposée au déterminisme de la science moderne, contribue à élargir les perspectives à partir desquelles sont étudiés le langage et son apprentissage, et, par conséquent, l’enseignement/apprentissage d’un nouveau système linguistique ou langue étrangère.

Déterminisme et Indéterminisme en tant qu’attitudes scientifiques

Le déterminisme et l’indéterminisme constituent des attitudes scientifiques liées à la description et au progrès de la connaissance du monde. Wagensberg (1985) consacre quelques parties de son œuvre à mettre en contraste les deux tendances en se référant à la théorie de la falsifiabilité et en comparant le scientifique applicateur-expérimental-déterministe au scientifique créateur-théorique- indéterministe. Partant de l’existence de quatre façons fondamentales pour aborder la connaissance: voir, regarder, observer et expérimenter, il se renseigne sur la possibilité de construire la connaissance en se passant de la prise d’information du monde réel. Ainsi, il nous fait pénétrer dans la caractérisation d’une perspective indéterministe dans la génération de la connaissance et dans la considération d’un scientifique crŽateur, par opposition à l’attitude déterministe du scientifique simulateur, applicateur ou machiniste, propre à la science ‘ moderne ‘.

L’attitude indéterministe dans la science nous guide vers l’acceptation de nouveaux exposés sur les formes de la connaissance. Il est amplement connu que la science déterministe de la modernité n’accepte que la vérité en tant que produit de l’observation directe, perceptible à travers les sens, susceptibles d’être falsifiée mensurable et quantifiable. Orientée vers la description quantitative et l’expérimentation, à tendance définitivement behavioriste fondée sur le behaviorisme américain, la science déterministe se passe de la considération des processus mentaux, cognitifs et affectifs et des intuitions ou discernements intérieurs, car ils ne sont ni observables ni susceptibles de mesure ou quantification. Par contre, l’attitude indéterministe qui caractérise le paradigme systémique de la complexité, accepte des approches qualitatives permettant la considération et la prise en compte des aspects et processus mentaux, volitifs, motivationnels, affectifs, intuitifs, des révélations internes et d’autres éléments du type subjectif et social, faisant partie des processus engagés dans la création de la connaissance et la perception de la réalité.

Partageant les idées posées on peut affirmer que la science déterministe constitue l’essai de représentation du monde connu à travers un système fermé. Cependant, selon Wagensberg (1985), même si les lois sont déterministes, la nature ne l’est point, et les nouvelles découvertes rompent les limites de ce déterminisme ou formalisme. Les lois de la science peuvent être déterministes, mais elles acceptent et permettent les mouvements, les changements et les fluctuations de la nature, ce qui permet à son tour l’évolution scientifique.

Les scientifiques indéterministes, pour leur part, considèrent l’univers comme un système vibrant, changeant, entropique et hasardeux par nature, caractérisé par la complexité croissante des phénomènes et des systèmes. La science déterministe croit à un destin prédéterminé et assume l’existence d’une relation spécifique entre la cause et l’effet, croyance ancrée dans la mentalité occidentale qui affirme ou poursuit la compréhensibilité du monde et la soumission de la nature aux besoins et à l’action humaines. Cependant, expose Wagensberg, la croissante complexité du monde et des systèmes humains n’est explicable que si nous acceptons un certain moyen de participation du hasard. C’est pourquoi certaines formes de connaissance attribuent au hasard une partie importante dans l’explication des phénomènes et dans la description des systèmes, à travers laquelle surgit une attitude indéterministe face à l’étude des événements qui transcende la barrière des sciences naturelles et recouvre tous les phénomènes sociaux, humains et éducatifs.

Tel qu’on l’espère, le déterminisme scientifique produit à son tour un déterminisme épistémologique (tout événement du monde est prédictible) et un déterminisme ontologique (un état du monde est la conséquence nécessaire de n’importe quel autre état du monde (Wagensberg, 1985). Les prédictions, basées sur des prédéfinitions, observations et expérimentations, sont le résultat d’une connaissance empirique, linéaire, finie, contrôlable et quantifiable dans laquelle le hasard n’a aucune part. L’objet de la science déterministe est la construction des définitions et des théories capables de prédire des événements du monde.

Logiquement, cette insistance sur les événements observables, l’empirisme et le vérificationnisme, fait naître des approches d’enseignement/apprentissage du type béhavioriste fondées sur des processus de conditionnement à travers la répétition d’associations stimulus-réponse. Ce type d’enseignement cherche à contrôler au maximum le processus d’enseignement/apprentissage, à prédire les résultats en termes de comportements observables et à empêcher la production d’erreurs de la part des apprenants par la répétition de comportements modelés par l’enseignant. Conceptions et modalités d’enseignement/apprentissage, qui, malgré les progrès dans les théories et les pratiques pédagogiques actuelles, sont restées intactes dans plusieurs domaines du système éducatif.

D’autre part, l’indéterminisme permet de comprendre que certains événements du monde ne sont pas prédictibles et accepte des formes de connaissance interne ou révélée pour faire face à la compréhension de la complexité du monde et des systèmes. Dans ce sens, le hasard et la complexité vont faire partie des aspects remarquables dans l’étude des systèmes et des événements, et l’objet de la science indéterministe c’est de présenter des interprétations appropriées des phénomènes ou des systèmes complexes, sans essayer de contrôler ou de prédire les résultats. Étant donné qu’elle considère que la connaissance n’est pas nécessairement empirique et observable, et que les événements peuvent être expliqués ou imaginés à partir de processus internes incommunicables, elle favorise des approximations qualitatives, intuitives, subjectives et interprétatives dans les processus d’apprentissage. Des interprétations qui, à leur tour, conduisent à des modalités d’enseignement centrées sur les processus et stratégies individuels des apprenants pour atteindre des apprentissages significatifs.

En manière de récapitulation, on peut dire alors que l’indéterminisme accepte le hasard, l’absence d’une causalité directe, la non falsifiabilité, la manifestation d’autres types de connaissance tel le savoir intuitif ou le savoir révélé. Également, est acceptée la construction de la connaissance occultant l’apport des données du sensorium, des méthodologies et des techniques qualitatives sont développées, on travaille l’idée de la complexité croissante des systèmes et le langage et l’art sont acceptés en tant que manifestations d’un type de connaissance capable de représenter des ‘complexités inintelligibles’. Toutes ces caractéristiques définissent des tendances indéterministes compatibles avec la création de nouvelles connaissances et le progrès scientifique de nos jours. De cette façon, les changements théoriques qui se produisent dans l’interprétation de la cognition et l’apprentissage humain aboutissent à des approximations humanistes et constructivistes dans l’éducation qui ont des effets sur les méthodes d’enseignement.

Ainsi, les tendances indéterministes, avec leur proximité aux phénomènes vus dans leur complexité, offrent la possibilité de dépasser les restrictions auto-imposées du déterminisme réductionniste dans les sciences et dans la compréhension des processus cognitifs. Elles permettent aussi la compréhension des causes de plusieurs changements dans les conceptions du processus d’enseignement/apprentissage, et, plus particulièrement, dans les approches et méthodes pour l’enseignement des langues étrangères. L’indéterminisme, la complexité et la participation du hasard créateur se font à chaque fois plus perceptibles dans les nouvelles tendances pour l’apprentissage des langues étrangères, tant du point de vue de leur fondement théorique-épistémologique qu’en ce qui concerne les implications et applications méthodologiques pour le travail en classe. Ils sont de même perceptibles dans les différentes orientations de la recherche et l’état de l’art dans la Linguistique Appliquée (Delmastro, 2005).

Déterminisme et Indéterminisme dans l’étude du langage

En ce qui concerne l’étude du langage, le déterminisme est mis en évidence dans les courants structuralistes de la linguistique, où le réductionnisme a une grande participation. Le langage est analysé en termes de patrons ou structures isolées, lesquelles sont progressivement divisés dans leurs constituants immédiats (mots et morphèmes) pour aboutir aux unités minimales de signification (phonèmes et allophones). De même, la linguistique descriptive, en mettant l’accent sur la description de la performance réelle des locuteurs et non pas sur les règles d’usage imposées par la grammaire traditionnelle, traduit sans doute la préoccupation par ce qui est observable, mesurable, quantifiable, favorisant des interprétations de l’apprentissage de la langue issues de l’empirisme et du behaviorisme, lesquelles se fondent à leur tour, sur une conception du langage en tant qu’ensemble d’habitus. Cela explique également la prédominance et abondance des études descriptives du type quantitatif dans le domaine de la phonétique et la phonologie pendant la période d’essor du déterminisme dans la linguistique. Ces études, même si elles représentaient un grand apport au domaine à cette époque, étaient caractérisées par la rigidité méthodologique, par l’obsession de la quantification et par l’objectivité en vue d’une supposée rigueur scientifique.

Pour sa part, et de même que pour d’autres disciplines dans le domaine des sciences humaines, l’indéterminisme offre à la linguistique d’autres façons d’aborder les études du langage et son enseignement qui dépassent les limites du réductionnisme et les positions propres au déterminisme. Le langage est alors étudié en termes de ses fonctions dans la communication dans les différents contextes d’usage, tenant compte des besoins des locuteurs et du but de la communication. L’acceptation de l’existence de caractéristiques communes à toutes les langues aboutit à l’abandon des études descriptives du type contrastif, dans lesquelles les systèmes de deux langues étaient contrastés pour déterminer leurs différences et ressemblances, et ainsi, sur cette base, prédire des interférences et possibles difficultés dans l’apprentissage de langues étrangères.

Comme conséquence des tendances indéterministes, sont acceptées l’existence de facultés innées pour l’apprentissage du langage, la capacité de “deviner par intuition” des significations et des règles, ainsi que la participation d’une grande variété de facteurs personnels, affectifs, motivationnels et sociaux dans ce processus. Des conceptions sur l’enseignement, dirigées vers la formation d’habitudes sont abandonnées et orientées vers des méthodologies dites ‘communicatives’. L’accent mis sur les significations, l’importance accordée au contexte, l’utilisation fonctionnelle dans des situations communicatives, la conception du langage en tant que système complexe, la considération des besoins et des intérêts des participants, l’insistance sur les processus et l’apprentissage centré sur l’apprenant, constituent des conceptions non déterministes du langage et son apprentissage.

Il est possible cependant, de percevoir dans quelques-unes des notions évoquées, une certaine influence du rationalisme chomskyen dans la linguistique. Nous ne pouvons pas, par conséquent, faire abstraction de l’alternative rationaliste dans cette discussion. Celle-ci constitue une autre option de la science formelle qui, avec sa considération des processus mentaux internes indépendants du fait observable, permet de s’écarter de la rigidité de l’induction et de la vérification sans tomber dans l’interprétation phénoménologique. De cette façon, le rationalisme offre à l’enseignant-chercheur des stratégies d’analyse et de contraste à base déductive permettant d’estimer l’adéquation des théories, principes et modèles, et rendant possible la dérivation de nouvelles théories à caractère général et incluant à partir de théories préexistantes.

Dans ce sens, dans l’étude du langage, le rationalisme aborde des approximations génératives qui favorisent la participation des processus mentaux, aussi bien intuitifs que conscients, ainsi que la production créative à partir d’un système fini de règles. Dans l’apprentissage des LE cela se traduit par des méthodologies du type code-cognitif (‘cognitive-code’) à l’intérieur desquelles la compréhension de la règle précède la production linguistique; ou, en termes chomskyens, la compŽtence précède la performance. Cela implique deux étapes clairement différenciées dans l’apprentissage d’une langue étrangère: une étape consciente d’apprentissage et pratique de la règle, et une étape automatique de production dans laquelle on aboutit à la fluidité dans l’usage de la langue.

Il est important de souligner que même si les différentes positions sembles incompatibles, elles font référence aux mêmes réalités: le progrès scientifique, la connaissance, les systèmes biologiques et tous les systèmes humains en général, y compris le langage et son apprentissage. Par conséquent, on ne peut pas nier que le progrès de la science, dans ses différents domaines et manifestations, a besoin des deux attitudes: aussi bien le déterminisme que l’indéterminisme. De là, nous partageons le point de vue de Wagensberg lorsqu’il dit que si l’indéterminisme, parce qu’il est plus complexe, comporte plus de risques, il est aussi important pour le progrès scientifique qu’appliquer des théories qui, quoique moins créatives, sont également nécessaires. Le rationalisme offre en effet au chercheur à orientation déductive les outils nécessaires pour évaluer la production et l’adéquation des théories générées.

Pour tout ce qui a été dit, une position radicale vers l’une ou l’autre tendance n’est pas compatible avec le progrès de la science et de la connaissance. Assumer un relativisme informé nous permettant de fluctuer entre les différentes positions, selon les circonstances et les besoins de la recherche et/ou le contexte d’enseignement-apprentissage, favorise le développement d’une méthodologie conforme à la complexité du monde réel nous offrant la possibilité de faire face à des conditions variables, à des différences individuelles par rapport aux styles d’apprentissage et aux systèmes institutionnels et sociaux distincts. En ce qui concerne le domaine de l’enseignement des langues étrangères, ce relativisme informé est manifesté dans l’état de l’art de la discipline, par les tendances actuelles d’orientation constructiviste et les variations de l’approche communicative telles que: l’enseignement basé sur des tâches, l’apprentissage stratégique, l’évaluation par des processus, les modèles métacognitifs, et l’apprentissage collaboratif, entre autres.

En guise de conclusion…

La science traditionnelle cherche la représentation de l’interdépendance ou relation entre les faits observables (soit comme description de la réalité, soit comme identification de relations de cause-effet) obtenue au travers de processus inductifs fondés sur l’observation directe ou de processus déductifs de raisonnement, selon la perspective épistémologique sous-jacente. L’indéterminisme associé au paradigme de la complexité s’éloigne de cette science normative et accepte les formes non conventionnelles de production des connaissances qui engagent une certaine perception ou vision interne (‘insight’). Cette vision interne est plus liée aux espaces psychologiques et aux états de conscience qu’aux processus cognitifs basés sur l’observation ou le raisonnement. Dans ce sens, la réalité n’a plus besoin d’être observée mais ‘appréhendée’ et la connaissance est considérée comme une expérience qui surgit de l’intérieur.

Dans l’analyse et interprétation des processus d’apprentissage de la langue maternelle et de la langue étrangère, les perspectives adoptées actuellement, même encadrées essentiellement dans la position de l’indéterminisme scientifique en ce qui concerne l’interprétation du processus d’enseignement-apprentissage, se dotent du privilège de l’éclectisme conforme à la complexité de la situation étudiée et des milieux d’apprentissage. L’éclectisme est conçu comme un privilège car, dans son sens positif de pluralité et de syncrétisme théorique méthodologique, il n’est pas très facilement accessible parce que fondé sur une ample connaissance et information tant du point de vue théorique-concepuel qu’au niveau méthodologique-procédural De ce point de vue, il ne s’agit pas de ‘l’éclectisme honteux’ auquel se réfère Lanz (1999:10), mais d’un ‘Žclectisme informŽ’: une amplitude de critères basée sur la connaissance, qui considère les propres expériences et vécus du chercheur permettant l’analyse, le choix raisonné et la prise de décisions informées (Delmastro, 2005).

Il faut également expliquer qu’une position indéterministe face à l’interprétation du processus d’enseignement-apprentissage des LE, en vertu de sa complexité, ne s’oppose pas à la perspective rationaliste dans la conduite d’une recherche, car la première est liée à l’objet d’étude, tandis que la seconde fait référence à l’aspect méthodologique-procédural du processus de recherche lui-même. En outre, la position indéterministe, par le fait de s’écarter de la préoccupation par les phénomènes et produits observables, permet des approximations du type qualitatif dans l’étude du langage et dans son apprentissage, ce qui favorise une plus grande compréhension des processus engagés dans l’acquisition du système linguistique de la langue cible, en vertu de la complexité des facteurs intervenants.

En conclusion, partant de la prémisse que l’apprentissage d’une langue étrangère est un processus sans doute complexe, assumer un éclectisme informé face à l’interprétation des processus d’enseignement-apprentissage d’une LE permet à l’enseignant d’affronter la grande variété de contextes et de situations d’enseignement-apprentissage, en acceptant la participation du hasard, de l’intuition et d’autres caractéristiques individuelles, subjectives, culturelles et sociales dans le processus. Pour sa part, l’alternative rationaliste, en tant qu’approche épistémologique de recherche, enrichit le processus, car elle offre les outils pour l’analyse et le contraste d’auteurs et de théories permettant d’évaluer leur adéquation et leur pertinence, et d’appuyer la proposition de nouvelles théories et modèles, lesquels auront aussi un effet sur la performance de l’enseignant dans sa classe.

Finalement, il est important de signaler que l’adoption de l’une ou de l’autre alternative, tant dans la performance de l’enseignant que dans la recherche, sera affectée non seulement par les tendances et l’état de l’art dans la discipline concernée, mais aussi par les préférences et les styles cognitifs propres à l’enseignant ou au chercheur, et, en dernier lieu, par les demandes et politiques institutionnelles. Ce sont là, d’évidence, des thématiques dignes d’êtres abordées dans des recherches futures.

Références